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La monnaie locale en 3 questions

Depuis quelques années, elles fleurissent un peu partout en France. Folkloriques pour certains, angéliques ou utopiques pour d’autres, les monnaies locales intriguent. Alors que Paris s’apprête à créer sa propre monnaie et à suivre ainsi le chemin déjà emprunté par une trentaine d’autres villes françaises, il est temps de se pencher davantage sur ces fameuses monnaies complémentaires et de comprendre leur véritable intérêt. 

Quoi? Une monnaie parallèle

Les monnaies locales ne sont pas là pour remplacer l’Euro. Ce n’est ni leur vocation, ni leur ambition. Dans la mouvance des nouvelles solutions d’échange qui fleurissent un peu partout, les monnaies locales viennent en complément. De leur vrai nom d’ailleurs on les appelle les MLC : monnaies locales complémentaires.

Elles sont créées soit par des associations de citoyens soit par les collectivités locales. Et bien évidemment elles ne sortent pas du chapeau : leur mise en circulation nécessite au préalable une autorisation de la Banque de France.

Pour faciliter leur utilisation, une unité de monnaie équivaut systématiquement à 1€. Son cours reste fixe, donc aucune thésaurisation ou spéculation n’est possible. Les MLC sont des monnaies d’échange, pas de crédit. Aucun intérêt donc à mettre ses gonettes, ses euskos,  ses pêches ou ses sols dans une tirelire. Le but, c’est de les dépenser et de les faire circuler! Certaines monnaies sont même fondantes, c’est à dire qu’elles perdent de la valeur avec le temps et doivent donc être utilisées rapidement.

Accessible à tous les particuliers, l’utilisation de la monnaie locale est en revanche généralement réservée aux commerces et aux entreprises qui s’engagent dans une démarche de circuit-court et de production locale. 

Pourquoi ? Pour financer l’économie réelle

Aujourd’hui pratiquement 97% des échanges monétaires mondiaux se font sur les marchés financiers. Ce sont donc des opérations virtuelles, bien loin de l’économie réelle. L’une des ambitions des monnaies locales est donc de revenir à l’essentiel : la transaction de biens ou de services, tout en encourageant un mode de consommation plus durable.

Ainsi en payant ses achats en Gonette, un Lyonnais sera sûr de deux choses. La première c’est que ses produits seront, dans la mesure du possible, locaux, puisque seuls les commerces et entreprises privilégiant le circuit court peuvent entrer dans le réseau. La seconde c’est que l’argent qu’il aura ainsi dépensé restera dans sa région. Il sera utilisé par le commerçant pour rémunérer ses employés (en partie uniquement, la majorité du salaire restant évidemment en euros !) ou pour payer ses fournisseurs. Et ainsi cette somme continuera de tourner dans l’économie locale, sans s’enfuir dans des circuits financiers parfois obscurs.

Ces monnaies circulent en effet beaucoup plus vite que l’euro. Entre deux passages à la banque, un euro est échangé en moyenne 2,4 fois. Une MLC, elle, passe entre 6 paires de mains différentes avant de retourner à la banque. Elle est échangée entre les acteurs locaux qui renforcent et ravivent ainsi leurs liens.

Tout en donnant un coup de pouce à l’économie locale, les monnaies complémentaires mettent en valeur le pouvoir qui est entre les mains de chaque citoyen. Passage à un autre type de consommation, renforcement du tissu économique local, création de liens sociaux… Les effets d’une monnaie locale peuvent être nombreux. C’est un outil politique donc, mais pas politisé. Dans la plupart des villes, cette monnaie alternative est d’ailleurs soutenue par des élus de droite comme de gauche.

Le système financier est sorti totalement discrédité de la crise de 2008, et la confiance est loin d’être revenue. En proposant une alternative à l’Euro et son monopole monétaire basé sur la dette bancaire, les devises locales donnent un nouveau sens à la monnaie et permettent aux citoyens de se sentir impliqués dans la sphère économique locale. Economiste et professeur à l’université de Berkeley, Bernard Lietaer est l’un des architectes de l’ECU, l’ancêtre de l’Euro. Il est aussi un ardant défenseur des monnaies locales. « Afin d’amortir les chocs et les éventuelles crises économiques, il faut cultiver de la biodiversité monétaire comme il y a de la biodiversité dans une forêt », explique-t-il. Et de préconiser différentes monnaies pour différents usages. L’euro pour l’épargne, l’investissement et la spéculation, la monnaie complémentaire pour les échanges locaux. En d’autres termes, pour rendre notre système plus résilient, il ne doit pas reposer uniquement sur l’Euro. L’économie locale et les PME ne doivent pas s’arrêter de tourner dès qu’il y a un problème avec la monnaie européenne. En Suisse, le WIR est une monnaie complémentaire réservée aux PME créée pendant la Grande Dépression des années 30. Utilisée par 20% des PME, il a depuis prouvé à plusieurs reprises son rôle de stabilisateur de l’économie suisse. 

Comment ? L’importance de la taille critique

Pour avoir un vrai impact, ces monnaies doivent fédérer un grand nombre d’acteurs (citoyens, entreprises et pouvoirs publics). Et c’est sur ce point que de nombreuses questions se posent. Comment démocratiser leur utilisation et leur faire dépasser le seul cercle des « déjà-convaincus » ? Au delà du niveau militant, il faut également une forte implication des sphères économiques et institutionnelles. Les mairies pourraient par exemple accepter le paiement d’une partie des taxes en monnaie locale. Le maire de Bristol, lui, perçoit la totalité de son indemnité en Bristol Pounds. La clé du succès consiste surtout à faire adhérer un maximum d’entreprises, pour que les commerçants puissent plus facilement payer leurs fournisseurs en MLC et créer ainsi un véritable cercle vertueux. Cela implique de faire passer le projet à une autre échelle, en proposant un mode de paiement électronique. C’est le cas pour les So’Nantes, la monnaie locale nantaise. Elle n’existe d’ailleurs que sous forme numérique. Pour encourager les entreprises à l’utiliser, elles bénéficient à la création de leur compte, d’un découvert gratuit. Elles peuvent ainsi dépenser leurs premières So’Nantes avant même d’en avoir encaissé préalablement.

En pleine expansion ces dernières années, les monnaies locales ne sont pas une solution miracle. Mais elles sont une piste, un signe que les choses changent, que plus que des consommateurs, de plus en plus de français veulent être des citoyens et avoir voix au chapitre autrement que par les urnes.

Par Céline Beaufils 

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