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Kozoku

Les nouveaux acteurs de la ville – Ep. 1 : Kozoku

Nouvelle rubrique pour We-Lab : nous vous emmenons à la rencontre de porteurs de projets percutants, pertinents, enthousiasmants… Bref, des projets qui participent à l’émergence d’une ville à la fois douce et enjouée, inclusive et créative.
Nous inaugurons cette rubrique avec Lucie Paquet et Nicolas Baumer, les fondateurs de Kozoku, un projet de coliving monoparental.

Pouvez-vous nous raconter comment est né Kozoku ?

Lucie : En créant mon activité de conseil en immobilier il y a un an, je me suis beaucoup intéressée aux nouveaux concepts dont le coliving. À côté de cela, après ma séparation j’ai emménagé dans un nouvel appartement et ma voisine de palier était aussi maman solo. On s’est soutenues lors des moments difficiles. Et puis l’idée a germé : pourquoi ne pas adapter le concept du coliving aux parents solos, ce serait tellement plus fun ! J’ai eu énormément de bons retours dès que j’ai commencé à parler du concept et cela m’a motivée à aller plus loin.

Nicolas : J’ai vécu les difficultés qu’entraîne une séparation avec enfants et notamment celle d’un logement inadapté pris dans l’urgence… Quand j’ai commencé à travailler sur des projets urbains, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas encore de réponse pertinente à ces situations : j’essayais de pousser nos partenaires sur le sujet (même des acteurs du coliving) mais les familles monoparentales n’étaient jamais leur cœur de cible.  Pourtant elles représentent 10% de la population dans les grandes villes, sur la Métropole de Lyon c’est plus de 50 000 foyers / 120 000 habitants ! Donc quand Lucie m’a dit qu’elle voulait travailler là-dessus ça a été comme une évidence : il fallait qu’on développe ce projet ensemble !

Nous avons réalisé un sondage, des interviews et sommes présents sur les réseaux sociaux où il existe beaucoup de groupes de parents solos très actifs. La demande d’accompagnement, de sortir de l’isolement est très forte. C’est comme un monde parallèle que l’on ne découvre qu’une fois qu’on est dedans ! Lors d’une séparation, les parents doivent faire face à des difficultés psychologiques, économiques et souvent sociales avec un isolement dur à supporter. En plus, vient se greffer cette recherche de logement, généralement très compliquée pour les parents solos. Avec Kozoku, nous voulons leur faire gagner du temps et de l’énergie en leur proposant une solution de logement clé en main, adaptée à leurs besoins immédiats. Et, au-delà de quatre murs et d’un toit, nous voulons surtout leur offrir le soutien et l’accompagnement adéquats.

Notre nom, Kozoku, a été repris d’un mot inventé par des journalistes japonais dans les années 90. Littéralement on pourrait le traduire par « la tribu des solitaires ». Ce néologisme japonais part du constat que les familles traditionnelles ne sont plus nécessairement la norme et que les personnes seules, les familles recomposées ou monoparentales, de plus en plus nombreuses, doivent logiquement être prises en compte dans la construction de la ville. Ces mêmes journalistes avaient ainsi consacré une série d’articles sur le sujet.

KOZOKU
Crédit photo : Thierry Fournier

En quoi consiste exactement ce projet de coliving monoparental ?

Nicolas : Nous voulons offrir une solution transitoire pour aider les parents solos à repartir dans de bonnes conditions, notamment en cœur de métropoles où les tensions immobilières sont plus fortes et les séparations plus nombreuses.
Nous imaginons qu’ils y resteront entre six mois et deux ans, le temps de se lancer ensuite dans un projet immobilier plus pérenne. Le concept de base, c’est un immeuble qui propose 35 logements, chacun d’une superficie comprise entre 23 et 55m2. Des espaces partagés viennent simplifier le quotidien tout en créant des opportunités de convivialité et de rencontre : salle de jeux, espace séjour, buanderie, grande cuisine collective pour recevoir des invités ou des repas en commun (chacun disposant de sa propre kitchenette dans son appartement). Le loyer comprend les charges classiques, les assurances et les bases de l’accompagnement.

Lucie : L’accompagnement, c’est en effet ce qui manque le plus aux parents solos. Cela ressort dans toutes nos enquêtes. Nous sommes en train de constituer un réseau de partenaires (avocats, psychologues…) pour orienter les locataires suivant leurs besoins vers des professionnels. Indispensable pour que le coliving prenne véritablement vie, un animateur sera également régulièrement présent dans la résidence. Cet animateur devra nécessairement être sensibilisé aux problématiques de la séparation, et nous réfléchissons en ce moment au profil idéal. Il s’occupera de l’accueil des nouvelles familles mais aura aussi un rôle de facilitateur et de médiateur. En connaissant bien chaque résident, il pourra par exemple aider les familles à mutualiser certains besoins (baby-sitter, trajets pour l’école…).
Le concept de mutualisation des besoins et des ressources est primordial pour faire fonctionner le modèle économique de Kozoku. Nous le creusons au maximum et envisageons notamment de proposer une colocation d’étudiants intéressés pour faire du baby-sitting ou rendre des services dans la résidence.
Toujours dans une logique d’optimisation du modèle économique qui nous permettra de proposer des loyers abordables, nous travaillons la chronotopie qui consiste à accueillir différents usages en fonction de la temporalité, sous-louer la salle de jeux à des associations la journée en semaine par exemple.
Bref, nous avons vraiment cette volonté d’optimiser l’utilisation de l’espace en fonction des moments de la journée, ce qui va plutôt à l’inverse de l’immobilier d’aujourd’hui où chaque espace est consacré à un usage bien précis.

Lutte contre l’isolement et droit à la ville pour tous : le coliving semble être une arme redoutable pour faire émerger une ville plus inclusive. Pourtant ce nouveau type d’habitat souffre parfois d’une image un peu élitiste, un concept réservé aux jeunes actifs les plus aisés. Le coliving, c’est de la colocation haut de gamme ?

Lucie : Le coliving tel qu’il existe aujourd’hui est plutôt fait pour les cadres (plus ou moins jeunes) qui sont en mobilité. À surface privée égale, le coliving est plus cher. Mais il est inférieur en coût global et démultiplie l’offre de service : les locataires viennent y chercher du lien social ou une appropriation du lieu qu’ils n’ont pas à l’hôtel. En général l’espace privé est plus grand et plus complet que dans une colocation classique.
Côté Kozoku, nous arriverons à rester sur des loyers abordables en travaillant avec des foncières ou des collectivités qui acceptent des rentabilités plus faibles car leur rôle est de contribuer à l’émergence de projets à impact social. 

Nicolas : Le coliving a une image très marketée, conçu comme un « produit » à l’usage des millenials et autres cadres dynamiques. Il n’est pas très inclusif alors même qu’il hérite de la colocation qui permettait d’économiser en mutualisant… Les modèles actuels visent un public qui n’est pas tant à la recherche d’une économie que d’un mode de vie. Ils y trouvent plus d’intimité que dans une simple colocation, plus d’espace que dans un hôtel. Il y a des services sur place, parfois des bars, restos en rez-de-chaussée, le mobilier est pensé pour gagner de l’espace en conservant une bonne qualité de vie, on peut y rencontrer facilement des gens, pas de prise de tête sur les charges, les abonnements… Mais ils n’y font pas forcément de grosses économies.
Pour nous il y a là plein de très bonnes idées pour imaginer de nouvelles solutions de logement, mais aussi un challenge pour trouver un modèle plus ouvert et plus largement utile. C’est pour cela que nous voulons réaliser un vrai travail de R&D et que nous comptons mener une veille permanente sur les innovations et l’évolution des modes d’habiter.

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Lucie Nicolas
Crédit photo : Thierry Fournier

Le projet s’adresse, que ce soit voulu ou non, principalement aux femmes. On parle souvent de la place des femmes en ville, en quoi le cas spécifique de la séparation vient-il accentuer le besoin de mener cette approche très genrée ?

Lucie : Oui, tu as raison, les chiffres sont sans appel : 80% des parents solos sont des femmes. D’après un sondage que nous avons mené, on compte à peine  23% de gardes alternées face à une écrasante proportion de gardes exclusives ou gardes principales (un week-end sur deux et la moitié des vacances chez l’autre parent). Les raisons sont très variées et il faut espérer que cela augmente mais c’est ainsi aujourd’hui. Nous souhaitons que les résidences Kozoku restent mixtes (c’est un challenge !) mais nous prendrons effectivement en compte ce phénomène dans la conception de nos résidences en travaillant notamment avec les animatrices du groupe « Toutes habitantes« . Par exemple, nous savons que lors d’une séparation, les femmes subissent une plus grosse perte de pouvoir d’achat (jusqu’à 30% contre 6% pour les hommes), nous en tiendrons compte.
Assumant majoritairement la garde, les mères célibataires doivent aussi assurer tous les sujets logistiques, et c’est souvent elles qui, après la séparation, sacrifient le plus leur carrière pour s’occuper des enfants, ce qui vient encore accentuer ce cercle vicieux de la perte de pouvoir d’achat.
Ce problème est encore plus présent dans les grandes villes où les habitants sont souvent éloignés de leur famille. Il est alors plus difficile de faire garder ses enfants « gratuitement » les mercredis ou à la sortie de l’école.
Statistiquement, les hommes se remettent plus vite en ménage que les femmes. Ce qui leur simplifie encore le problème du coût du logement. Et on ne parle pas du problème des pensions alimentaires misérables et/ou impayées, de la charge pour l’ensemble du dossier quand le couple (ou ex-couple) a besoin de faire appel à la justice pour un arbitrage.

Nicolas : Tout cela a été un peu une surprise pour moi, moins pour Lucie. Au départ, tu te dis que si un couple se sépare, potentiellement les deux sont dans la galère. Mais mon expérience personnelle ne reflétait pas vraiment les tendances, et les chiffres sont têtus : la baisse du pouvoir d’achat est beaucoup plus marquée chez les femmes et accentue la difficulté à retrouver un logement ; tout comme l’isolement social. Et le risque est plus élevé d’être victime de violences, qu’elles soient physiques, morales ou financières. Et, cerise sur le gâteau, il y a (il reste ?) aussi des formes latentes de sexisme dans les institutions – le livre d’Emilie Biland sur l’encadrement inégalitaire des séparations a été une véritable prise de conscience pour moi sur ce sujet ! 
C’est pour cela que l’enjeu du réseau d’accompagnement est un axe majeur pour Kozoku : il y a besoin de rééquilibrer les choses et cela passe par des professionnels conscients de ces problèmes. 

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À quel stade en êtes-vous de votre projet entrepreneurial et quelles sont les prochaines étapes ?

Lucie et Nicolas : Nous avons été sélectionnés par Alter Incub il y a six mois pour une première phase de maturation du projet et nous avons monté l’association Kozoku en mai 2020 en préfiguration. Depuis nous sommes passés en phase active d’incubation, nous avons rencontré des collectivités et des acteurs de l’immobilier. À chaque fois le projet a été très bien reçu et nous avons déjà des opérateurs comme la SACVL qui veulent travailler avec nous.
Lorsque les conditions sanitaires le permettront, nous animerons plusieurs groupes de travail avec des experts de la monoparentalité, des parents solos mais aussi des enfants pour challenger notre cahier des charges et notre offre. Nous venons de démarrer une étude en collaboration avec l’agence d’Urbanisme de lyon et l’ENSAL sur le logement des familles monoparentales sur l’aire de la Métropole. Nous participons également à des appels à projets pour obtenir des subventions de développement.
Nos objectifs sur 2021 : l’édition d’un livre blanc sur le sujet logement et mono parentalité, la formalisation de partenariats, la consolidation de notre modèle et l’identification de nouveaux prospects d’implantation. L’ouverture de notre première résidence est souhaitée pour 2022. Nous avons déjà deux projets sérieux à l’étude, ce qui nous motive à concrétiser rapidement notre offre. L’idée est de faire naitre Kozoku à Lyon/Villeurbanne puis d’essaimer, dans les autres métropoles, notamment à Paris.

Pour en savoir plus : site de Kozoku

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