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L’eau, une nouvelle terre promise pour les villes

En 2050, 70% de la population mondiale vivra en milieu urbain. Un enjeu de taille pour des villes qui sont souvent déjà en état de quasi asphyxie. Pression du foncier, hausse des températures, pollution… Comment les villes peuvent-elle assurer à leurs habitants, toujours plus nombreux, une vraie qualité de vie ? 90% des plus grandes villes du monde sont situées en bord de mer ou d’un grand fleuve. La réponse passe peut-être en partie par l’eau…  Si les péniches ont depuis longtemps été transformées en logement, l’idée de vivre sur l’eau prend une nouvelle dimension. Les quartiers flottants offrent des nouveaux lieux de vie où l’on peut vivre, travailler, se divertir ou tout simplement flâner en connexion avec la nature.
Alors, les villes doivent-elle prendre le large pour mieux s’épanouir ? Une chose est sûre, cet « urbanisme bleu » est de moins en moins à contre-courant…

Le quartier flottant, un élément fort de la Living City

Ce n’est pas un hasard si la majorité des grandes villes s’est développée au bord de l’eau. Zone d’échange, de commerce, de rencontres, les ports ont longtemps été le centre névralgique des villes. Désormais la plupart de ces ports, qu’ils soient fluviaux ou maritimes, ont été excentrés vers des zones logistiques péri-urbaines. Pour les citadins, l’eau n’est alors devenue qu’un simple élément du paysage, inaccessible la plupart du temps.

Mais alors qu’ils aspirent à vivre dans des villes plus humaines et plus douces, quoi de mieux que de leur offrir la possibilité de se réapproprier cet espace urbain, souvent tombé aux oubliettes. Tout comme les anciennes voies de chemin de fer ont été transformées en lieux de vie et de promenades (High Line à New York, voie verte à Paris…), ces espaces fluviaux et maritimes peuvent être mis à profit dans l’aménagement des villes et devenir de nouveaux espaces publics. C’est ce qui se passe à Copenhague où des iles flottantes en bois recyclés ont été imaginées comme des petits parcs urbains. La 1ère est déjà accessible à tous. Les suivantes devraient bientôt offrir de nouveaux lieux de détente flottants aux habitants de la capitale danoise : café, sauna, jardin, ferme urbaine… Voilà qui fait rêver ! 

Et les exemples fleurissent de par le monde. À Paris, la Seine accueillera bientôt le 1er centre d’art urbain flottant au monde. Au pied du pont des Invalides, Fluctuart est un projet né dans le cadre du concours Réinventer la Seine. Il ouvrira ses portes au printemps.

À Amsterdam, le quartier flottant d’Ijburg accueille depuis 2009 une cinquantaine d’habitations et plusieurs lieux de vie. Des maisons atypiques avec vue sur mer, des bateaux qui remplacent les voitures, des crèches, des écoles, et même un théâtre… Il fait bon vivre dans ce quartier qui a su éviter la boboïsation en intégrant 30% de logements sociaux. À Ijburg, la capitale néerlandaise souvent sujette aux inondations a fait de l’eau, son problème de toujours, une solution. 

Dans la baie de San Francisco, la ville flottante de Sausalito existe depuis les années 60. Accueillant à l’origine une ancienne casse pour bateaux, les lieux ont été investis par des hippies. Petit à petit, ils ont transformé les vieux bateaux en habitations toutes plus créatives et excentriques les unes que les autres. Offrant une qualité de vie incroyable aux portes de San Francisco, la ville s’est finalement embourgeoisée et ses house-boats sont particulièrement recherchées par les nouvelles fortunes de la Silicon Valley. 

Plus écolo, la ville sur l’eau ?

Comment accueillir toujours plus d’habitants sans asphyxier les villes ? Comment gérer cette densification sans aggraver l’étalement urbain ni rogner sur les terres agricoles, nécessaires pour nourrir les citadins ? Comment, tout simplement, y développer un cadre de vie plus agréable ?

L’idée de profiter de l’eau pour s’agrandir n’est pas nouvelle. Devant la pression démographique, certaines villes ont choisi de défier les lois de la nature et de conquérir de nouveaux territoires sur les mers. À Singapour, 25% de la ville est construite sur des terres récupérées, 20% de Tokyo repose sur des îles artificielles…

Des millions de mètres cubes de sable déplacés, des écosystèmes marins irrémédiablement détruits, des budgets hors norme… Malgré tous les « sacrifices » consentis pour leur donner vie, ces projets pharaoniques ne sont pas toujours couronnés de succès. À Dubaï, The World Islands, un archipel de 300 îles artificielles, prend l’eau au sens propre comme au sens figuré, les travaux ayant été abandonnés depuis la crise financière de 2007…

Vivre sur l’eau plutôt que d’essayer de la combattre, c’est le choix qu’ont fait les Pays-Bas. À l’inverse des îles artificielles, les quartiers flottants sont conçus pour limiter leur impact écologique. L’idée de base est cette fois d’adapter la ville à la nature, et non l’inverse.

L’énorme avantage des quartiers flottants, c’est que l’on ne bétonne plus les sols. Donc premièrement, on ne rogne plus sur les terres arables, si rares sur notre planète et de plus en plus colonisées par nos villes. Et deuxièmement on épargne le sol qui, recouvert de bitume, ne peut plus assumer le rôle d’ « absorbeur »

Il est évidemment hors de question de reproduire sur l’eau les erreurs que l’homme a pu commettre sur terre. Il s’agit ici de s’adapter à l’environnement et non l’inverse. L’agence d’architecture WaterStudio s’est spécialisée dans les quartiers flottants. Énergies renouvelables, toits-terrasses végétalisés, tout y est pensé pour être durable et écologique. L’agence travaille également à la conception de plateformes flottantes fabriquées à base de plastique recyclé. Bref, tout est fait pour ne pas polluer, voire même réduire les effets de la pollution pré-existante. 

Ville flottante, ville résiliente

Écolos, les quartiers flottants permettent aussi de répondre aux nouveaux enjeux climatiques qui mettent les villes en péril. Face à une inexorable montée des eaux, certains architectes ont imaginé des villes flottantes, par essence protégées de cette menace. Le plus connu d’entre eux, Vincent Callebaut est à l’origine du projet Lilypad, cette ville nénuphar qui flotte sur l’eau en toute autonomie. Imaginé pour accueillir 50 000 réfugiés climatiques, ce projet n’a pas encore vu le jour, principalement à cause de son coût de construction. 

Sans aller jusqu’à des structures d’une telle ampleur, les quartiers flottants se multiplient dans des villes comme Amsterdam ou Copenhague. Pourquoi ? parce qu’ils ont l’avantage de résister aux inondations, aussi fréquentes que dévastatrices dans ces contrées.

Grâce à l’effet de refroidissement de l’eau, le quartier flottant offre également une solution naturelle pour lutter contre la hausse des températures. Lors des périodes de canicule, les différentes structures flottantes qui le forment peuvent être éloignées les unes des autres, laissant davantage de place à l’eau. Pendant les mois hivernaux en revanche, les structures peuvent être rapprochées pour mieux résister aux vagues de froid.

Et c’est bien cette flexibilité qui est particulièrement intéressante. Elle permet d’adapter tout un quartier à ses besoins du moment. Contrairement à un quartier terrestre complétement figé, le quartier flottant peut se métamorphoser au gré des saisons. Un gros événement attire un important flux de touristes ? Un hôtel flottant peut être installé temporairement. Les enfants du quartier sont nombreux ? Amenons-y une école flottante. Les enfants ont grandi ? L’école flottante peut voguer vers d’autres points d’amarre…

Des architectes allemands travaillent sur la conception d’un stade flottant qui pourrait être acheminé et utilisé pour chaque grosse compétition sportive (coupe du monde de foot, jeux olympiques…). Une solution intéressante pour éviter le gâchis environnemental et financier de toutes ces énormes infrastructures construites pour n’être utilisées que pendant quelques semaines. 

La carte postale est idyllique. Mais pour que les quartiers flottants tiennent leurs promesses, soyons vigilants. S’ils rendent la ville plus résiliente, ils ne doivent pas l’empêcher d’être inclusive. Or les coûts de construction élevés de ces plateformes risquent de les réserver aux plus privilégiés. D’où l’intérêt d’y développer aussi des espaces publics auxquels chaque citadin aura accès. Et surtout, gardons en tête qu’avant tout, les voies navigables sont de précieux éléments naturels de nos villes. Nous pouvons en profiter pour améliorer notre qualité de vie mais alors, cela doit se faire dans une démarche durable et respectueuse de l’environnement.

Crédits photos : www.copenhagenislands.com / WaterStudio / Ellis Square / Vincent Callebaut Architectures / Stadium Concept 

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