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Livrer et délivrer la ville

Le jour, la nuit… Nos villes sont le théâtre d’un ballet permanent dont on ne parle quasiment jamais. Absolument vital, ce ballet est paradoxalement la source de nombreux désagréments dont nous, citadins, nous passerions bien : bruit, pollution, engorgement de la circulation… La logistique urbaine est devenue un sujet de plus en plus stratégique pour les métropoles.

Parce que nous ne sommes pas à une contradiction près, nous voulons toujours plus de livraisons, toujours plus vite mais n’en tolérons plus les conséquences négatives et les villes arrivent à saturation… En parallèle, la demande des consommateurs évolue vers davantage de local et de circuit court, ce qui amène à repenser la chaine logistique pour des acteurs plus petits, plus nombreux et moins organisés pour le réseau logistique urbain.

Longtemps considérée comme les coulisses obscures de la ville, il est donc grand temps que la logistique urbaine arrive sur le devant de la scène tant elle joue un rôle clé dans la construction d’une ville durable et désirable.

Quand la ville croule sous les colis

Dans la capitale, un véhicule sur cinq circule pour livrer des colis. D’après la Ville de Paris, le transport de marchandises pèse pour près de 50 % de la consommation de diesel et pour plus de 25 % du CO2 émis. Et toutes les métropoles françaises sont confrontées à cette problématique.

Depuis une décennie, le e-commerce connaît un essor stratosphérique. En 2018, le chiffre d’affaires du secteur a dépassé les 90 milliards d’euros sur la France, soit une croissance de 13,4% par rapport à 2017. Et rien que pour le commerce alimentaire, on s’attend à une croissance de plus de 50% de la livraison à domicile au cours des 6 prochaines années*.

Pour livrer toutes ces marchandises dans les grandes villes, on les achemine d’abord en poids lourds dans de grands centres logistiques situés en périphérie puis on les dispatche dans des véhicules utilitaires, évidemment bien plus pratiques qu’un énorme camion. Certes, mais rapporté à la tonne transportée, un véhicule utilitaire pollue 6 fois plus qu’un poids lourd. La première raison, c’est que beaucoup de ces véhicules circulent à moitié chargés et repartent à vide : leur remplissage n’est donc pas optimisé. Et, avec ses arrêts fréquents, ses stationnements en double file (n’acculons pas les chauffeurs, ils font comme ils peuvent), cette armada de véhicules utilitaires qui arpentent nos rues constitue une véritable source de congestion du trafic.

Il faut donc lutter contre l’idée, largement marketée par certains géants du e-commerce, que le transport et la livraison sont gratuits. La logistique des derniers kilomètres peut peser jusqu’à 20% du prix des marchandises. Outre ce coût financier, la livraison représente un coût environnemental pour toute la société. Afin que chacun s’en rende bien compte et se responsabilise, l’Aslog (fédération des professionnels de la logistique) suggère par exemple d’intégrer un indicateur environnemental aux modes de livraison proposés.

Évidemment, tout n’est pas tout noir : sans logistique, point de ville ! La supply chain est créatrice de valeur et d’attractivité pour la ville. Il faut donc développer des solutions pour qu’elle s’y épanouisse en douceur et en respectant le bien-être des citadins.

Faire de la place à la logistique en centre-ville

Pour rendre la supply chain plus durable, il faut réintégrer des infrastructures logistiques dans le cœur névralgique des villes. Le concept : un hôtel logistique centraliserait les livraisons et l’acheminement du dernier kilomètre s’effectuerait en mode doux : véhicule électrique, vélo ou même à pieds. Mais la réintroduction de la logistique en centre-ville pose question : les prix du foncier y sont déjà très élevés, il faut éviter de tendre davantage le marché.

Alors, les villes cherchent l’innovation notamment via des appels à projets, comme à Nantes avec « Fabriquons la logistique urbaine ensemble ». Le but est d’explorer des « solutions innovantes de services de logistique urbaine sur des sites répertoriés pour de courtes durées d’occupation ». Et justement, des solutions innovantes font déjà leur apparition dans les métropoles françaises. Quelques pistes à creuser :

Développer une logistique « bien accompagnée »

L’une des solutions pour bien intégrer l’infrastructure de la supply chain est de jouer sur la mixité du bâtiment. L’hôtel logistique de Vitry-sur-Seine devrait ainsi accueillir une ferme urbaine sur son toit. Dans le 18ème arrondissement de Paris, c’est tout un quartier urbain et logistique que la SNCF Immobilier développe. Au-delà de ses 45.000 m2 dédiés à la logistique, le quartier Chapelle International intégrera entre autres 6.000m2 d’équipements publics, 22.000m2 de square, prairie ou espaces publics.

Les hôtels logistiques urbains se veulent donc multifonctions, ils proposent de nouveaux espaces de vie aux habitants. Le foncier, si précieux, n’est ainsi pas accaparé uniquement par la logistique.

La prairie du projet Chapelle International – droits : SNCF

Utiliser les espaces les moins attractifs

À Lyon, l’opérateur de parkings Lyon Parc Auto (LPA) aménage des espaces logistiques dans les parkings des Cordeliers, de la Cité internationale et vient de lancer un appel à projets pour celui des Halles.

À Paris, le site logistique P4 est situé entre 2 pylônes en béton sous le périphérique à la hauteur de la Porte de Pantin. Un poids-lourd roulant au gaz naturel, sans émissions, décharge en une fois l’équivalent de quatorze petits véhicules propres qui livrent le client final.

Site P4 – droits : Syvil

Trouver d’autres voies

La route n’est pas la seule option pour affréter des marchandises. Longtemps oublié, le transport fluvial connaît un nouvel essor. Plus écologique, il permet de désengorger le trafic urbain tout en accostant en plein centre des agglomérations. De petits véhicules propres peuvent ensuite prendre le relais pour les derniers kilomètres. Pionnier en la matière, Franprix livre ainsi depuis 2012 ses magasins parisiens depuis sa plateforme fluviale située en plein centre de la capitale. Toujours à Paris, le projet Green Deliriver devrait voir le jour en 2020. Le concept : un entrepôt flottant hybride (biogaz/électricité) acheminera des colis dans Paris dans un sens et évacuera les déchets urbains de la capitale dans le sens inverse. En se réappropriant ainsi leurs fleuves, les villes rendent la chaine de transport plus vertueuse.

Plus futuriste, mais plus médiatique, le transport des colis par drone est aussi envisagé comme une probable alternative. Propulsée sur le devant de la scène par Amazon, cette solution est encore en phase de développement et d’expérimentation, avec de nombreuses barrières techniques à relever.

Révolutionner la livraison… et la production

La route n’est pas la seule option pour affréter des marchandises. Longtemps oublié, le transport fluvial connaît un nouvel essor. Plus écologique, il permet de désengorger le trafic urbain tout en accostant en plein centre des agglomérations. De petits véhicules propres peuvent ensuite prendre le relais pour les derniers kilomètres. Pionnier en la matière, Franprix livre ainsi depuis 2012 ses magasins parisiens depuis sa plateforme fluviale située en plein centre de la capitale. Toujours à Paris, le projet Green Deliriver devrait voir le jour en 2020. Le concept : un entrepôt flottant hybride (biogaz/électricité) acheminera des colis dans Paris dans un sens et évacuera les déchets urbains de la capitale dans le sens inverse. En se réappropriant ainsi leurs fleuves, les villes rendent la chaine de transport plus vertueuse.

Plus futuriste, mais plus médiatique, le transport des colis par drone est aussi envisagé comme une probable alternative. Propulsée sur le devant de la scène par Amazon, cette solution est encore en phase de développement et d’expérimentation, avec de nombreuses barrières techniques à relever.

Miser sur la connectivité et l’intelligence artificielle

Optimiser les flux, le remplissage des véhicules utilitaires…. Avec sa capacité d’apprentissage et d’amélioration continue, l’intelligence artificielle constitue une formidable opportunité pour le secteur.

Quelques exemples : des capteurs à la sortie des dépôts pourraient être associés à une application qui en fonction de l’état du trafic en temps réel pourrait affiner la pertinence d’envoyer ou non des camions supplémentaires sur les routes. Des applications pourraient permettre de mutualiser davantage les trajets et donc d’optimiser le remplissage des camions….

Encourager la livraison collaborative

La technologie n’est pas seule à pouvoir nous sauver. Nous pouvons aussi le faire nous-même. La livraison collaborative, également appelée crowdshipping, permet à des particuliers de transporter des colis lors de leurs trajets personnels. C’est la fin du silo transport passager / transport de marchandise. Et cela semble logique : pourquoi ne pas profiter d’un coffre à moitié vide ou d’un peu de place dans une valise pour transporter un colis ? Un même voyage pour deux utilités : tout le monde y gagne ! Du gros meuble au plus petit paquet, de nombreuses plateformes de transport collectif ont vu le jour ces dernières années : JwebiColisbree ou encore Cocolis pour ne citer qu’eux.

Revenir vers la ville fabricante

Et si l’on remontait encore plus en amont du problème ? Si la ville est tellement dépendante de la logistique, c’est parce qu’elle importe presque tout. La ville est devenue un lieu de consommation et de services mais la fabrication n’y a plus sa place. En relocalisant sa production, en mobilisant des ressources matérielles locales, notamment au travers de l’économie circulaire, elle aurait tout à y gagner : elle fait davantage circuler les richesses dans son économie locale et diminue ses besoins logistiques !

Pour aller plus loin : Vers des villes plus fabricantes

* source SIRHA 2019

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