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Tout le monte a-t-il encore sa place en ville ?

Tout le monde a-t-il encore sa place en ville ?

Qu’est-ce que la ville ? Un territoire économique, certes. Mais c’est aussi, c’est surtout un endroit où l’on habite, où l’on vit. Ce qui fait l’âme et l’identité d’une ville, ce sont ses habitants, ses usagers. Depuis toujours, la ville est un melting-pot où cohabitent différentes populations, un lieu de brassage culturel, un pôle de commerce et d’échanges, un endroit qui bouillonne, une zone de liberté où tout est possible. Depuis toujours, les villes sont des mondes à elles toutes seules. Oui mais… +12,7% à Villeurbanne, +9,5% à Nantes, +8,2% à Toulouse, +6,3% à Paris… En 2019, les prix de l’immobilier dans les grandes villes ont continué leur interminable ascension.

Habiter en ville coûte de plus en plus cher et les populations les moins aisées semblent condamnées à s’éloigner inexorablement du centre-ville et de ses premières couronnes. Sous pression, la ville, ce territoire toujours plus attractif, ne serait-elle pas en train de changer de nature, de s’homogénéiser au profit des plus aisés ? Quelles sont les solutions pour une ville plus inclusive et donc cosmopolite ?

La (grande) ville, un territoire toujours plus attractif

Changement de modes de vie et nouvelles aspirations sociétales

Qu’on se le dise : le pavillon de banlieue avec son jardin, sa balançoire et son garage ne font plus rêver, ou disons de moins en moins… Longtemps considérée comme un juste équilibre entre la ville et la campagne, la périphérie résidentielle a perdu de son charme en même temps qu’elle perdait de son sens. Parce que nous voulons limiter nos déplacements et privilégier les modes de transport doux, parce que nous recherchons la proximité et la multiplicité des activités culturelles et des commerces, nous sommes de plus en plus nombreux à préférer vivre en milieu urbain.

Et ce d’autant plus que les métropoles et leurs centres villes connaissent un véritable renouveau en termes de qualité de vie. Piétonisation, développement des pistes cyclables, végétalisation… L’espace urbain devient un territoire de plus en plus agréable à vivre, en accord avec les nouvelles aspirations de la population. En témoigne, par exemple, le grand retour des halles de centre-ville qui font la part belle aux circuits courts, à l’authenticité et à la proximité.

Et bien que cela semble contre-nature à première vue, l’espace urbain s’avère totalement compatible avec les préoccupations environnementales croissantes qu’exprime la population : notre empreinte écologique (carbone principalement) y est moindre qu’à la campagne.

Un marché de l’emploi toujours plus « métropolisé »

Au-delà de ces nouvelles aspirations sociétales, si les métropoles attirent tant, c’est aussi parce qu’elles offrent ce que l’on trouve difficilement ailleurs : de l’emploi. Alors qu’elles n’hébergent que 27% de la population, les 13 plus grandes métropoles françaises concentrent à elles seules près de la moitié des offres d’emploi (47% selon HelloWork). Quand on a dit cela, on a tout dit, non ? Car avec un taux de chômage national autour de 8,8%, l’emploi, c’est le nerf de la guerre pour l’attractivité des territoires… Ajoutons-en une couche : cette « métropolisation de l’emploi » tend à s’accentuer. D’après le baromètre Arthur Loyd, les grandes et très grandes aires urbaines ont ainsi concentré 84% des créations nettes d’emploi dans le secteur privé en 2018 contre 63% en 2017.

Ce phénomène s’explique notamment par le fait que les métropoles centralisent l’essentiel des activités liées à l’économie de la connaissance et de la créativité, une économie où les acteurs ont tendance à se regrouper en réseaux de producteurs innovants et interdépendants. La dimension géographique y est donc primordiale et c’est un cercle, vertueux pour la métropole mais vicieux pour les territoires voisins, qui se met en place : l’écosystème des grandes villes aspire une part toujours plus grande de la population active.

Un foncier qui attire toutes les convoitises

Qui dit pression démographique, dit aussi pression du foncier. Puisque les métropoles sont devenues des aspirateurs à population, la tension immobilière se fait de plus en plus forte. Et inévitablement, les prix augmentent, ce n’est ni plus ni moins que la loi de l’offre et de la demande. Mais un autre phénomène entre en jeu. Entre des carrières de moins en moins linéaires, des salaires qui stagnent et des retraites qui inquiètent, l’immobilier s’est imposé comme une stratégie alternative au marché du travail pour accumuler du capital. Ainsi en 2019, Century 21 affirme qu’au sein de son réseau d’agences immobilières, plus d’un achat sur quatre a été réalisé dans une optique d’investissement locatif. À Paris, cela représentait même un achat sur trois.

S’ajoute à cela, de manière plus anecdotique mais néanmoins croissante, un phénomène d’airbnbisation des villes qui contribue lui aussi à chasser les ménages les moins solvables des centres-villes.

Entre ceux qui veulent y vivre et ceux qui veulent y investir (notons que ce sont parfois les mêmes), il y a donc foule sur le marché immobilier des grandes villes.

Sous pression, la ville change de nature

La ville, territoire de mixité sociale par excellence

À l’image des immeubles haussmanniens qui étaient conçus pour accueillir les plus riches dans les étages inférieurs et les plus pauvres dans les étages supérieurs (c’était avant l’apparition des ascenseurs !), la ville a toujours regroupé en son sein des populations d’origines et de catégories sociales très diverses. Et encore maintenant, les centres-villes offrent une mixité beaucoup plus importante que le périurbain qui, lui, est bien souvent organisé sociologiquement. On trouve d’un côté les banlieues riches et de l’autre les banlieues pauvres tandis que d’autres villes de première ou deuxième couronne concentrent la classe moyenne. Tout cela est très schématique évidemment, et l’on retrouve aussi des quartiers riches et des quartiers pauvres en ville, mais le maillage territorial y est plus fort, les infrastructures partagées et les échanges encore possibles. Il n’y a presque plus que dans les centres villes que toutes ces populations vivent ensemble. Mais pour combien de temps encore ? Les villes, en pleine croisade de branding et d’attractivité, tendent à montrer d’elles-mêmes des images d’Épinal finalement assez lisses qui tolèrent de moins en moins la pauvreté. Le développement du mobilier anti-SDF dans nos centres-villes en est l’illustration parfaite : la misère ne doit plus être vue dans l’environnement ultra-urbain.

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Gentrification et uniformisation en action

« GENTRIFICATION », tout le monde n’a plus que ce mot à la bouche, un mot généralement prononcé avec les sourcils froncés et une mine sévère. Et on les visualise tous, ces quartiers entiers qui se « boboïsent » à coup de magasins bio, de coffee shops spécialisés dans les macchiatos et les dessins en nuages de lait… Ce phénomène mériterait un article à lui tout seul. On a vite fait d’accuser les « gentrificateurs », mais c’est prendre un sacré raccourci. Leur intention n’est pas de faire évacuer les habitants les plus pauvres mais de se loger à un prix accessible et dans un quartier qui a encore une âme, une identité propre. Et bien souvent ces premiers gentrificateurs qui ont « défriché le terrain » se font eux-mêmes sur-gentrifier quelques années plus tard. Bref, c’est une mécanique complexe qui est à l’œuvre et pour développer ce sujet si clivant, nous vous invitons à lire le passionnant ouvrage Gentrifications.

Mais, pour revenir à nos moutons, le problème de la gentrification, c’est qu’elle participe à l’uniformisation des centres-villes. On avait l’habitude de retrouver partout des Zara, H&M et compagnie. Il faut maintenant composer aussi avec les mêmes coworkings, les mêmes vitrines décorées de plantes grasses et de cactus, les mêmes univers instagramables. Ne nous y méprenons pas, tout ceci est charmant, agréable à vivre et complétement dans l’air du temps. Le hic, c’est qu’en recherchant de l’authenticité (la gentrification se fait souvent dans des quartiers anciens, avec un patrimoine architectural qui a du caractère : bâtiment industriel, ateliers de manufacture…), le citadin finit par en perdre en créant un peu partout la même chose. Or l’emprise croissante sur l’espace urbain de cette gentrification exclut de fait toute population qui ne se reconnaît pas, ou ne sent pas à l’aise dans ces nouveaux codes.

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Apparition d'un droit à la ville

Pour tous les citadins, gentrificateurs compris, l’espace rêvé n’est pourtant pas lisse. Il est animé et dense, fait de petites rues, de commerces de proximité, de cafés conviviaux, de mixité, de rencontres imprévues et improbables. Car c’est là toute la richesse de ville : offrir à la fois cosmopolisme et entre-soi.

En 1968 déjà, pour lutter contre l’homogénéisation des villes, le philosophe et sociologue français Henri Lefebvre a théorisé le « droit à la ville ». Le concept de base : permettre à chaque individu de « prendre part à la ville telle qu’elle existe, mais aussi à sa production et à sa transformation ». Si ce concept est de retour sur le devant de la scène, c’est qu’il vient répondre à ce besoin de lutter contre l’ « archipelisation » des sociétés urbaines, de défendre une véritable pluralité de la ville. C’est ce que revendique Mickaël Labbé, philosophe de l’Université de Strasbourg dans son récent essai « Reprendre Place ».

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Quelles solutions pour une ville inclusive et cosmopolite ?

Permettre à tous d’y habiter

C’est la base. Et de plus en plus d’acteurs de l’immobilier s’y penchent sérieusement. Outre les quotas de logements sociaux imposés pour chaque nouveau programme, certains cherchent des solutions plus innovantes et pérennes.

C’est ainsi qu’a été développé le bail réel solidaire (BRS), un dispositif qui dissocie le foncier du bâti. Il permet d’acheter un bien immobilier sans le foncier qui, lui, reste propriété de l’Organisme de Foncier Solidaire en charge de l’opération. Les ménages les plus modestes peuvent ainsi devenir propriétaires dans des secteurs où l’immobilier leur était jusqu’à présent inaccessible. Le prix de revente du bien est encadré, assurant ainsi une logique anti-spéculative sur le long terme.

Le BRS, c’est ce que propose notamment Rhône Saône Habitat, coopérative HLM basée à Lyon. Cherchant des solutions novatrices et durables pour faciliter et sécuriser l’accession à la propriété, Rhône Saône Habitat est également Maître d’Ouvrage sur un projet d’habitat collaboratif et non spéculatif porté par ses futurs occupants : Le Moulin. Au cœur du 7ème arrondissement de Lyon, ce projet comportera 6 logements et des espaces communs dont un rez-de-chaussée ouvert sur le quartier. Ici la propriété est collective : chaque habitant détient des parts de la société coopérative propriétaire de l’immeuble. Et pour lutter contre la spéculation, les parts de la société sont indexées sur le coût de la vie et non sur le marché immobilier.

Ré-équilibrer les territoires

S’il est primordial d’offrir des dispositifs tels que le BRS, il n’en reste pas moins que ce sont des « solutions pansement », ponctuelles plutôt que systémiques. Elles sauveront de l’hémorragie, certes, mais n’empêcheront pas le saignement. Pour que la ville soit plus accessible, il n’y a pas mille solutions : il faut qu’elle soit moins chère. Or, qu’on le veuille ou non, là n’est pas la question, la loi de l’offre et de la demande reste implacable. Donc tant que les métropoles resteront de tels pôles d’attractivité, l’immobilier continuera d’être de plus en plus précieux. La solution se trouve donc ailleurs, dans les territoires voisins, les villes moyennes, la ruralité.

C’est en développant les maillages, l’accroissement des échanges (et donc les transports), le transfert des richesses et des compétences à l’échelle non pas d’une métropole mais d’un territoire bien plus vaste que l’on apaisera la pression démographique qui pèse sur les métropoles. Alors seulement, vivre en ville deviendra un choix, un possible parmi d’autres. Et la ville, moins pressurisée, s’ouvrira de nouveau à plus de mixité sociale. Un luxe que, de toute évidence, elle n’arrive plus à s’offrir.

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