WeLab

5 minutes

Une époque formidable

Une époque formidable… C’était le titre de la conférence organisée par la Tribune et Acteurs de l’Economie ce lundi 21 novembre à Lyon. Durant toute la journée, des intervenants tels que Axel Kahn, Pierre Rabhi, Eric Dupond-Moretti ou Cédric Villani se sont succédés pour partager leur vision du monde actuel et futur.

L’exercice risque d’être un peu réducteur au regard de la richesse et de la multitude des sujets qui ont été abordés, mais il nous a semblé intéressant de partager avec vous les idées clés qui ont émergé de cette journée. Nous en sommes ressortis les épaules un peu lourdes face au constat parfois accablant qui a été fait sur notre société, mais le cœur léger devant toutes les opportunités qu’offre le monde d’aujourd’hui pour améliorer le monde de demain. Sans catastrophisme ni angélisme, voici les idées fortes que nous avons retenues de ces échanges. 

La crise du progrès

Jusqu’à présent le progrès avait toujours été considéré comme une chance pour améliorer notre confort et notre niveau de vie. Ce n’est plus le cas. Plusieurs études ont montré que pour la première fois, les français ne s’attendent plus à ce que leurs enfants mènent une meilleure vie que la leur. Bien au contraire, ils craignent pour eux une vie plus difficile : dans une récente enquête IFOP-Fiducial, 70% se disaient inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants.

Le progrès ne suscite plus l’optimisme d’antan. La robotisation menace nos emplois, l’agroalimentaire nous abrite certes de la famine mais cumule les scandales sanitaires… Alors, faute de projeter nos espérances dans le futur, beaucoup d’entre nous se (re)tournent vers le passé. C’est ce qui explique les poussées réactionnaires que l’on observe partout dans le monde.

Nous vivons une période de transition : après avoir pensé que la modernité était la clé de tous nos problèmes, nous en tirons finalement un constat d’échec. Et ce d’autant plus que tout en étant dépendant de ce progrès, nous en sommes complétement déconnectés, nous ne le comprenons pas. Peu d’entre nous savent comment fonctionnent les algorithmes ou maitrisent la programmation. Cela pose un vrai problème d’indépendance et d’autonomie envers les « happy fews » qui jouissent de la maitrise quasi totale des technologies auxquelles tous les autres sont assujettis. 

La nécessaire transformation de la société

Les 1% les plus fortunés de la planète posséderont bientôt la moitié de la richesse mondiale. Jamais les inégalités n’ont été aussi élevées dans notre monde et nous avons finalement affaire à une nouvelle féodalité à l’échelle planétaire. Avec toutes les avancées technologiques, c’est un nouveau monde qui est en passe de s’ouvrir à nous. Nous vivons une époque de tous les possibles. Certes… mais pas pour tout le monde.

Ce constat, tout le monde le fait, et rien ne change. L’un des principaux enjeux de notre temps est de parvenir à changer les mentalités pour faire accepter les transformations. Notre tendance à l’immobilisme (surtout en France) nous rend plus vulnérables. Les politiciens, se sentant ankylosés par les grandes puissances économiques et financières, ne pensent plus pouvoir changer le monde et se faisant perdent leurs idéaux pour ne plus conserver que leur ambition personnelle. En résulte une profonde crise de confiance en la politique sur laquelle plus personne semble ne vouloir compter. La politique n’apparait plus comme une solution crédible. A vouloir devenir calife à la place du calife, nos hommes et femmes politiques (de tous bords et de tous pays) promettent monts et merveilles et surtout déresponsabilisent tout le monde.

Nous sommes dans une ère victimaire où la bien-pensance règne en maitre. N’accuser personne, ne pas nommer les problèmes mais compatir et réparer. Une démagogie efficace uniquement d’un point de vue électoraliste. Au lieu de consommer des anti-douleurs, notre pays et notre économie doivent pourvoir faire leur auto diagnostic et se guérir vraiment. Nous présenter comme autant de victimes (de la crise, de la mondialisation, de l’Europe…) nous jette tous dans un rôle passif et nous interdit toute résilience. L’important, pour que notre société se redynamise et évolue, c’est qu’elle se trouve de nouvelles utopies

Éloge de la lenteur et quête de sens

Nous vivons une période où tout va très vite. En témoigne le chaos de l’information : il en circule trop, tellement et tellement vite que personne ne prend plus le temps de vérifier sa véracité. Plus que la vérité, c’est désormais la viralité qui compte. On ne compte plus les histoires où une information a fait scandale avant de s’avérer infondée (la dernière en date a même été reprise par le futur président des Etats-Unis avant d’être démentie).

Notre temps de projection s’est lui aussi considérablement ralenti. Alors que jusqu’à récemment, nos carrières et nos vies étaient toutes tracée, qui est encore capable de savoir où il sera et ce qu’il fera dans 10 ans ? Bref, tout va vite, trop vite et nombreux sont ceux qui ressentent le besoin de ralentir. C’est aussi ce que prône Pierre Rabhi avec ce qu’il appelle la sobriété heureuse : moins consommer, moins dépenser et prendre le temps de vivre.

Cela va de pair avec une question plus cruciale : celle du sens. Comment l’incarner dans son quotidien ? dans son travail ? Nos principaux lieux de transmission se sont effondrés. Ces espaces de transmission, on les surnomme les 7 P : le père, c’est à dire la cellule familiale, le prêtre, le patron, le professeur, les partis (politiques), le prince (l’incarnation du pouvoir) et la patrie. Or aucune institution alternative n’est venue les remplacer. Mais des solutions émergent un peu partout, que ce soit par le mode associatif (Unis-Cité qui a été à l’origine du service civique, les Cités d’Or), entrepreneurial (Ronalpia) ou civil (Mouvement Colibris). 

Éducation

La France doit faire face à un réel problème d’acculturation qui se joue dès le plus jeune âge. Le problème du langage en est l’illustration la plus manifeste. Comment penser, comment échanger avec les autres si l’on ne dispose pas des mots pour le faire ? Dès la maternelle la différence est flagrante, le volume lexical passant de 4 000 mots en moyenne pour les élèves d’écoles lambda à 400 seulement pour ceux venant de zones défavorisées. Le rôle de l’école est donc primordial. Et pourtant, de plus en plus, elle faillit. Elle ne permet plus de grimper l’échelle sociale et ne fait que reproduire les inégalités. Que faire ? L’un des principaux enjeux est de sortir de la logique de la sanction de l’échec. Il ne faut plus avoir peur de se tromper, de transgresser ou de désobéir parce que c’est de là que viendra l’innovation. Là où les petits américains passent leurs journées à débattre avec leurs professeurs, on demande aux élèves français d’écouter religieusement la sainte parole de l’enseignant. Or il est capital de développer notre esprit critique, ne serait-ce que par rapport à la montagne de vraies-fausses informations auxquelles nous sommes confrontés.

L’autre enjeu majeur est de valoriser l’artisanat. Pourvoyeur de métiers où l’esprit sensible gouverne ce que fait la main, l’artisanat ne pourra pas être menacé par la robotisation, et il est porteur de sens au quotidien pour ceux qui l’exercent. Enfin, ressort le besoin d’éduquer dans la coopération plus que dans la compétition. Apprendre des autres et apprendre aux autres, c’est pédagogiquement une méthode qui a fait ses preuves et dont chacun sort valorisé et stimulé.

Si certains peuvent juger ces constats amers, il peut aussi et surtout en ressortir une vague, si ce n’est d’optimisme, disons d’enthousiasme. La transition est en cours, mais vers quoi ? C’est à nous maintenant de le décider et d’agir pour. Et il se passe partout des choses qui vont dans ce sens: le mouvement Nuit Debout, les Civic Techs, le taux d’engagement des jeunes dans des actions civiques qui n’a jamais été aussi élevé… Bref, les canaux traditionnels (politique, monde du travail, éducation) s’essoufflent mais nombreux sont ceux qui sont en train de repenser le monde différemment.

Alors, oui nous vivons une époque formidable parce que c’est une période charnière, où tout est possible, où tout est à inventer. Une époque où l’optimisme est de mise parce que si l’on veut construire un nouveau monde heureux il faut être convaincu que c’est possible.

Par Céline Beaufils 

Enregistrer

Enregistrer

Ces articles peuvent vous intéresser

Economie

Zero Waste? Yes we can!

3 minutes Pour manger un biscuit, il faut souvent en passer par l’épreuve des poupées russes: on ouvre un premier emballage, le carton, puis un deuxième, le plastique, puis au fond du troisième,

Archipellisation du travail
Organisation du travail

L’archipellisation des lieux de travail

8 minutes Temporaires, partagés, mobiles… les bureaux se réinventent en même temps que notre vision du travail. Une métamorphose riche de belles promesses autant que d’écueils à éviter.

Ne loupez aucun de nos articles !