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Entrons gaiement dans l’ère du renoncement

Et vous, vous êtes dans quel camp ? Ceux qui y vont à fond ? À reculons ? Pas du tout ? La transition, on en entend parler tous les jours et à toutes les sauces. Toujours avec son lot d’injonctions : n’utilisez plus la voiture, baissez le chauffage, arrêtez de manger de la viande…
Soyons honnêtes, si on ne voit la transition qu’à travers des interdictions ou des renoncements, ça ne va pas motiver les foules. « Utopie », « désastre », « population soumise aux transports publics »… Voilà un petit échantillon des commentaires qui accompagnent un article sur la transition entamée par la ville de Rennes. Alors en effet, vue sous le prisme du sacrifice, la transition ne fait pas envie. Il n’est jamais aisé ni agréable de changer ses habitudes. Mais, partons du postulat que nous n’avons pas vraiment le choix : le climat change, les ressources se raréfient. Il nous faut donc soulever un enthousiasme collectif, moteur pour nous relever les manches et passer vraiment à l’action. Alors comment, sans nier les renoncements qu’elle implique, rendre la transition plus attractive ? Comment en faire un projet de société non pas subi mais constructif, bénéfique et, osons aller jusque-là : joyeux !

La grande nostalgie : le début de la fin ?

La fin du "demain sera mieux qu'hier"

Disons-le clairement : le moral n’est pas franchement au beau fixe pour les français. Notre époque a l’impression de vivre la fin du « demain sera mieux qu’hier » qui a galvanisé les dernières générations. Entre l’inflation, la crise climatique, ses canicules et ses inondations, des guerres qui deviennent plus concrètes car géographiquement plus proches, se répand parfois l’idée inverse : « hier était mieux de demain ».
Ce pessimisme ambiant se reflète sur la génération Z, dans l’ensemble du monde occidental. Aux USA, 24% des 18-24 ans pensent ne jamais pouvoir prendre leur retraite et 59% s’imaginent ne jamais pouvoir être propriétaire de leur logement (étude McKinsey USA 2022). Dans une vidéo Tiktok devenue virale, une jeune influenceuse décrit ainsi son sentiment de fin de l’American Dream : accroissement des inégalités, crise environnementale… Une grande partie de la jeunesse ne croit plus en la promesse de meilleurs lendemains. Et ce n’est pas juste une génération qui est désenchantée, c’est une civilisation toute entière. Une étude Ipsos menée dans 24 pays montre ainsi que 64% des adultes pensent que dans leur pays les choses vont dans la mauvaise direction.

Un gros sentiment de finitude

Moins d’insouciance, mais aussi plus de culpabilité (impossible de mener une vie 100% écolo-compatible), angoisse d’un futur inconnu, agacement face à ceux qui feraient moins d’efforts que nous… Le résultat de tout cela, c’est que la société est de plus en plus fractionnée (entre classes sociales, entre générations…) là où elle devrait au contraire se serrer les coudes.
Bref, le contexte n’est pas à l’exaltation des foules. Entre la fin de l’insouciance, la fin des ressources et aussi les fins de mois plus difficiles, le cabinet de prospective NellyRody parle, dans son étude sur les grandes tendances 2024, d’un sentiment général de finitude. C’est en tous cas le signe que nous sommes arrivés à la fin d’un modèle. Mais aussi à la fin de ce paragraphe bien déprimant. Car bonne nouvelle : la fin d’un modèle, c’est le début d’un autre… Alors hauts les cœurs car tout est encore à construire !

Renoncer, c'est aussi avancer !

La fin d'une ère, pas du monde

Cela a été officialisé par le Président de la République : c’est la fin de l’abondance. Encore faut-il agir.  Qu’on le veuille ou non, nous serons amenés à renoncer à une certaine idée du confort. Alors pour bien le vivre, il s’agit de changer de prisme. Comment ? Premièrement, en étant honnête. Si l’on veut convaincre, il faut être crédible. Alors appelons un chat un chat : se lancer dans la transition, c’est renoncer. Évidemment. Renoncer à notre mode de vie actuel, à l’hyper consommation, à l’hyper mobilité. Est-ce dire que la fête est finie ? Certainement pas ! Renoncer, nous dit le Larousse, c’est « se détacher, cesser de rechercher ce à quoi on tenait ». Alors oui, c’est un cap difficile, mais nous pouvons, collectivement, nous fixer d’autres objectifs, d’autres rêves auxquels tenir. Est-ce vraiment un rêve absolu que d’avoir X paires de chaussures, Y manteaux au point que, face à nos foyers tellement encombrés, l’ADEME a lancé une grande campagne pour nous encourager à faire le tri et faire appel à des « Home Organisers » ? 

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Passer de l'ère de la consommation à l'ère de la relation

« Pour réussir une transition juste, il est utile d’avoir une approche globale et de ne pas surresponsabiliser des individus, en particulier ceux qui n’ont pas les moyens de choisir les solutions les plus écologiques pour se nourrir ou se déplacer au quotidien », prévient Christina Nirup, responsable de la mission Inclusion et transition écologique auprès de la direction générale déléguée de l’ADEME.
Renoncer, pour certains, reste un vrai luxe. Remplacer 6 jeans à 15€ par un pantalon plus éthique, c’est une chose. Mais quand on a les moyens de ne posséder qu’un jeans à 15€, on ne peut pas renoncer à ce petit prix, quelles que soit ses conditions de fabrication. Ce qui se joue avec la transition, c’est donc aussi une question de justice sociale, de solidarité. La dimension sociale doit être un pilier de la transition. Les renoncements demandés par une transition qui ne serait pas que de façade mais bien réelle sont conséquents. Ils demanderont à tous de profonds changements. Ils ne seront de fait acceptables que s’ils sont équitablement répartis entre tous les individus  et que s’ils profitent à tous.

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Le pouvoir de l'imagination et du récit

Vient alors le deuxième point clé pour nous aider à changer de prisme : éveiller un nouvel imaginaire et écrire un nouveau récit collectif. LA question à se poser c’est bien celle de notre nouveau projet sociétal. Quelle promesse pourra succéder à l’ère de la consommation ?
Marginale certes, on observe tout de même une nouvelle tendance, celle du Nobuy, qui consiste à ne plus rien acheter pendant un an. Gageons néanmoins que ce mouvement ne fera que peu d’adeptes. Pourquoi ? Déjà parce qu’il est intenable, et aussi parce qu’il se construit en opposition frontale au modèle actuel. Et cette opposition directe ne convaincra que les « déjà convaincus » tandis qu’elle agacera les autres. Contreproductif. Et là, nous mettons le doigt sur un enjeu majeur : écrire un récit qui n’exclut pas, qui ne juge pas, un récit dans lequel chacun pourra se reconnaître. Alors, quelle est la clé d’un récit qui fait envie ? L’écoute et la compréhension des besoins et des enjeux des différents acteurs d’une part, l’implication citoyenne d’autre part. « Plus le citoyen sera impliqué, plus il acceptera le changement » affirme Nathalie Chaudron, directrice de France Environnement Paca. Loin des éléments de langages vus et revus, le nouveau projet devra à la fois être concret, avec des objectifs précis, et porter une vraie vision constructive, positive.

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Vivre la transition comme une opportunité

Qu'est ce qui nous rend vraiment heureux ?

Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les difficultés liées à la transition. Il y en aura. Mais néanmoins cette période peut aussi être vécue comme enthousiasmante : tout est à réimaginer, à réinventer. Alors quitte à changer, changeons pour le mieux. Donc la vraie question à se poser c’est : qu’est-ce qui nous rend heureux ? Si l’on en croit l’Ipsos et son enquête menée à l’échelle mondiale, les 5 principales sources de bonheur seraient : la santé (55%), les enfants et la qualité de relation avec son/sa partenaire (48%), l’impression que la vie a un sens (47%) et enfin le sentiment de sécurité (45%).

Bref, rien à voir avec la consommation qui nous promet pourtant monts et merveilles. De là à penser que la transition pourrait être l’opportunité non pas de perdre mais de gagner (en sens, en bien-vivre, en temps de qualité pour soi-même ou avec les autres…), il n’y a qu’un pas que nous allons allégrement franchir ensemble !

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Gand, en Belgique : un cas d'école

Allez, mettons les pieds dans le plat et prenons un exemple qui exaspère beaucoup d’entre nous quand on parle de transition : l’usage de la sacro-sainte voiture, considérée comme l’un des symboles de nos libertés individuelles. À Gand, en Belgique, la maire a lancé dès 2017 un nouveau plan de circulation. Le centre-ville est devenu piéton tandis que les quartiers entourant ce centre ont été divisés en 6 zones : impossible de passer d’une zone à l’autre directement, il faut désormais emprunter une rocade. En parallèle, les pistes cyclables et transports en commun ont connu une vraie montée en puissance.

Alors évidemment, la conception de ce nouveau plan de circulation a été rythmée par des levées de boucliers particulièrement nombreuses : c’est impossible ! Cela va tuer les commerces de centre-ville ! C’est un suicide politique du maire ! Pendant deux ans et demi, les débats ont été nombreux et musclés. Les attaques aussi : le responsable du projet a même reçu des menaces de mort. Mais dès la mise en application du nouveau plan de circulation, tout a changé. Aucun embouteillage monstre n’est venu parasiter les zones encore circulables de la ville (et pourtant les médias belges avaient anticipé une véritable catastrophe et mobilisé des envoyés spéciaux pour l’occasion). Tout s’est mis en place de manière très … naturelle.

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Le résultat : 25% de cyclistes en plus, utilisation de transports publics en hausse de 28%, 40% de voitures en moins sur les rues partagées avec les vélos avec une qualité de l’air nettement améliorée en centre-ville. En bref, les habitants ont accepté et se sont « pris au jeu » de cette nouvelle mobilité. La ville, désormais reconnue pour sa qualité de vie, a gagné en attractivité. Le maire et son équipe ont ainsi été réélus avec un score électoral encore meilleur qu’aux élections précédentes. Voilà pour le constat global. Si l’on zoome à l’échelle de l’individu, est-ce que la transition a engendré plus de perte que de gain ? Concrètement, en se déplaçant en vélo ou à pieds sur des trajets courts de centre-ville, les habitants ont objectivement gagné en temps de trajet, en santé et en bonne humeur (l’argumentaire ici). Et pour les longues distances, la voiture reste une possibilité ! Moralité : avec un projet bien pensé, concerté et bien expliqué et, il faut le dire, du courage politique, le changement peut être source d’une amélioration concrète de notre quotidien. Alors, qui disait que c’était mieux avant ?

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