L’ agriculture urbaine, ce n’est pas juste une histoire de mode ou un truc de bobo. Et ce n’est pas non plus pour faire joli, en tous cas pas seulement. Derrière les radis et les salades qui poussent sur nos trottoirs se cachent des enjeux qui vont bien au-delà de ces considérations de style. Les bienfaits de l’ agriculture urbaine sont autrement plus nombreux que ce que l’on s’imagine à première vue. Mais est-ce pour autant la panacée ? Au lieu de chercher l’autonomie alimentaire à l’échelle d’une ville, n’a t-on pas intérêt à penser cette autonomie à l’échelle d’un territoire plus vaste incluant les campagnes alentours ? A l’heure où le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises n’est que de 2,1%, il est temps de se poser les bonnes questions et, surtout, de trouver les réponses !
Commençons, si vous le voulez bien, par quelques données chiffrées qui parleront d’elles-mêmes. Depuis les années 1960, l’Europe a perdu 20 % de ses terres agricoles. En parallèle la population des villes a cru de pratiquement 30% sur cette même période. Désormais 79,5% des français sont des citadins, complétement déconnectés de la chaine alimentaire et relégués au simple rang de consommateurs. Mais la véritable aberration réside dans le fait que 98% des aliments consommés au sein d’une aire urbaine (ville + couronnes périphériques) sont importés alors même que 97% de la production agricole de cette même aire urbaine est exportée. En gros, les territoires exportent ce qu’ils produisent et importent ce qu’ils consomment… Un sacré non-sens, vous en conviendrez. (C’est là que les monnaies locales prennent toute leur importance, mais ceci est un autre sujet)
Pas de panique, l’ agriculture urbaine vient à la rescousse et amène avec elle toute une série de bienfaits pour la ville et ses habitants listés dans une récente étude du cabinet Auxilia.
ENVIRONNEMENT & ÉCOLOGIE
Conséquence évidente, en s’implantant en ville l’agriculture vient apaiser et embellir les paysages urbains. Elle libère la ville de son asphalte pour mieux la faire respirer. En découle, notamment dans le cas des friches industrielles ou autres terrains pollués, une véritable amélioration de la qualité des sols, certaines espaces végétales ayant des vertus dépolluantes avérées. Dans le même ordre d’idée, diminuer les distances entre production et consommation, c’est aussi diminuer les transports et donc l’émission de CO2. Puis, en parallèle, en amenant l’agriculture à la ville, on reconnecte les citadins avec la nature, le cycle des produits de saisons…
SANTÉ
Voir pousser des légumes au coin de sa rue, ça finit par donner envie d’en manger ou au moins d’en gouter. Si la fameuse campagne des « 5 fruits et légumes par jour » a été un échec, c’est parce qu’elle n’impliquait pas de notion de plaisir. Les potagers et jardins partagés ont plus de chance de gagner l’adhésion des réfractaires du légume. Et surtout ils permettent aux plus défavorisés d’accéder gratuitement à des produits frais. Toute la population est impliquée, y compris les enfants avec les écoles, souvent associées aux projets de jardinage urbain. Voilà qui permet donc une éducation empirique au « bien-manger » et aux joies de la diversification alimentaire. Le tout avec une meilleure qualité et traçabilité des aliments consommés.
LIEN SOCIAL
Ce fut l’objet d’un long article We-Lab publié sur le magazine OuiShare, alors vous, lecteurs assidus, le savez déjà : les citadins ont besoin de nouveaux espaces du « vivre-ensemble » dans la ville. C’est exactement ce que vient proposer l’ agriculture urbaine. Source de lien social, elle crée une animation, un sujet de conversation dans les quartiers où elle s’implante. Du concret donc, pour améliorer à la fois la qualité de vie des citoyens et l’image de la ville.
RÉSILIENCE URBAINE & EMPOWERMENT CITOYEN
En produisant ses propres matières premières, le territoire urbain devient moins dépendant et donc moins vulnérable. Dans la même logique, en apprenant à cultiver des légumes, les citoyens se responsabilisent et s’affirment. Même si leur production reste anecdotique, désormais, ils savent et ils s’intéressent. Ils passent ainsi du statut de consommateur à celui d’acteur.
ÉCONOMIE LOCALE
Cerise (locale) sur le gâteau : l’ agriculture urbaine crée des niches agroalimentaires et permet de développer de nouvelles activités économiques allant de la transformation des produits récoltés à la production de packaging. Le tout dans un esprit circuit-court.
L’ agriculture urbaine serait-elle alors la panacée ? Non, évidemment. Sauf à basculer totalement dans l’agritech (ces fermes urbaines hautement technologiques où tout est cultivé hors sol et sans lumière naturelle), l’agriculture urbaine ne pourra jamais à elle seule nourrir toute la population d’une ville. Et c’est tant mieux ! Où serait la logique à capter du foncier urbain pour une activité que l’on peut aisément pratiquer à proximité, en campagne, là où la pression foncière est moins importante. Au delà du fait que cela mettrait définitivement nos campagnes au pilori (elles perdraient leur première source d’activité), nous deviendrions complétements dépendants des grands groupes agro-alimentaires, seuls détenteurs des semences et techniques dédiées à la culture indoor. Question résilience, on peut repasser…
L’ agriculture urbaine à proprement parler doit rester à sa place, en mode artisanal avec des potagers partagés et des micro-fermes. Mais son implantation au sein des villes doit permettre de repenser l’ensemble de la chaine agro-alimentaire. C’est l’occasion pour les villes d’entamer une transition alimentaire et de se rapprocher de leurs périphéries rurales, de mettre fin à cette fameuse une fracture ville/campagne.
Parce que, clairement, les campagnes restent des espaces stratégiques pour les villes, ensemble elles doivent co-créer de nouveaux modèles économiques pour développer davantage l’ agriculture locale. Dans cette logique, les villes amènent ressources financières et débouchés commerciaux. Point central de l’éco-système, elles peuvent aussi réorganiser les circuits de distribution et formaliser des alliances locales qui viendront renforcer la marque territoriale. Pour aller encore plus loin, le cabinet Utopies recommande la « création de clusters locaux de nourriture autour et au sein des villes ». L’idée ici est de réussir à réorienter l’agriculture locale vers les besoins locaux et de développer des activité semi-industrielles de transformation et valorisation des produits agricoles locaux. De quoi faire émerger tout un nouvel entrepreneuriat local.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait Rabelais. Ne nous lançons donc pas à corps perdus dans une agriculture urbaine trop hightech. Utilisée à bon escient, l’ agriculture urbaine a ceci de magique qu’elle reconnecte les citoyens avec la nature, avec ce qu’ils consomment tous les jours dans leurs assiettes. C’est un point de départ vers plus de bon sens dans notre production alimentaire. Le véritable enjeu est de développer une agriculture et une consommation locales, et ainsi de faire disparaitre la fracture territoriale qui sépare les villes de leurs campagnes.
Par Céline Beaufils
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